LA DAME AUX CAMÉLIAS
   Alexandre Dumas (fils)

Ce roman est un peu autobiographique, Alexandre Dumas fils aurait, plus jeune, rencontré cette dame merveilleuse et il en garde un souvenir chargé d'émotions. Voici donc le tableau d'une « Belle Oeuvre ».

Notez bien les détails qui font que Marguerite, selon le narrateur, est distinguée.

Je me rappelais avoir rencontré Marguerite très souvent aux Champs-Élysées, où elle venait assidûment, tous les jours, dans un petit coupé bleu attelé de deux magnifiques chevaux bais, et avoir alors remarqué en elle une distinction peu commune à ses semblables, distinction que rehaussait encore une beauté vraiment exceptionnelle.

Ces malheureuses créatures sont toujours, quand elles sortent, accompagnées on ne sait de qui. Comme aucun homme ne consent à afficher publiquement l'amour nocturne qu'il a pour elles, comme elles ont horreur de la solitude, elles emmènent ou celles qui, moins heureuses, n'ont pas de voiture, ou quelques-unes de ces vieilles élégantes dont rien ne motive l'élégance, et à qui l'on peut s'adresser sans crainte, quand on veut avoir quelques détails que ce soient sur la femme qu'elles accompagnent.

Il n'en était pas ainsi pour Marguerite. Elle arrivait aux Champs-Élysées toujours seule, dans sa voiture, où elle s'affairait le plus possible, l'hiver enveloppée d'un grand cachemire, l'été vêtue de robes fort simples ; et quoiqu'il y eût sur sa promenade favorite bien des gens qu'elle connût, quand par hasard elle leur souriait, le sourire était visible pour eux seuls, et une duchesse eût pu sourire ainsi. Elle ne se promenait pas du rond-point à l'entrée des Champs-Élysées, comme le font et le faisaient toutes ses collègues. Ses deux chevaux l'emportaient rapidement au Bois. Là, elle descendait de voiture, marchait pendant une heure, remontait dans son coupé, et rentrait chez elle au grand trot de son attelage. Toutes ces circonstances, dont j'avais quelquefois été le témoin, repassaient devant moi et je regrettais la mort de cette fille comme on regrette la destruction totale d'une belle œuvre.

Or, il était impossible de voir une plus charmante beauté que celle de Marguerite. Grande et mince jusqu'à l'exagération elle possédait au suprême degré l'art de faire disparaître cet oubli de la nature par le simple arrangement des choses qu'elle revêtait. Son cachemire, dont la pointe touchait à terre, laissait échapper de chaque côté les larges volants d'une robe de soie, et l'épais manchon, qui cachait ses mains et qu'elle appuyait contre la poitrine, était entouré de plis si habilement ménagés, que l'œil n'avait rien à redire, si exigeant qu'il fût, au contour des lignes. La tête, une merveille, était l'objet d'une coquetterie particulière. Elle était toute petite, et sa mère, comme dirait de Musset, semblait l'avoir faite ainsi pour la faire avec soin. Dans un ovale d'une grâce indescriptible, mettez des yeux noirs surmontés de sourcils d'un arc si pur qu'il semblait peint ; voilez ces yeux de grands cils qui, lorsqu'ils s'abaissaient, jetaient de l'ombre sur la teinte rose des joues ; tracez un nez fin, droit, spirituel, aux narines un peu ouvertes par une aspiration ardente vers la vie sensuelle ; dessinez une bouche régulière, dont les lèvres s'ouvraient précieusement sur des dents blanches comme du lait ; colorez la peau de ce velouté qui couvre les pêches qu'aucune main n'a touchées et vous aurez l'ensemble de cette charmante tête. Les cheveux noirs comme du jais, ondés naturellement ou non, s'ouvraient sur le front en deux larges bandeaux, se perdaient derrière la tête, en laissant voir un bout des oreilles, auxquelles brillaient deux diamants d'une valeur de quatre à cinq mille francs chacun. Comment la vie ardente laissait-elle au visage de Marguerite l'expression virginale, enfantine même qui le caractérisait, c'est ce que nous sommes forcé de constater sans le comprendre.


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