Il faisait nuit quand Clopinet
se sentit assez rassuré pour sortir de sa cachette. C'était
une douce soirée de printemps, tranquille
et voilée. Il écouta avant de bouger et fut très effrayé
d'un bruit singulier. Il s'imagina que
c'était le terrible pas du tailleur qui
faisait crier le sable au-dessous de lui ; et puis, comme
cela ressemblait par moments à une étoffe
qu'on déchire, il pensa encore au tailleur déchirant les
étoffes avant d'y mettre ses terribles
ciseaux. Mais cela recommençait toujours sans augmenter
ni diminuer de force et de vitesse, sans se rapprocher et
sans jamais s'arrêter. C'était la mer brisant au bas de
la grève. Clopinet ne connaissait pas ce bruit-là ; il essaya
de voir et s'assura, aussi bien que possible dans l'obscurité,
que personne autre que lui n'était dans ce
désert.
C'était pour lui un lieu
incompréhensible. D'où il était, en sortant
la tête des buissons, il voyait un grand demi-cercle de
dunes dont il ne pouvait distinguer les
plis et les ressauts, et qui lui paraissait être une immense
muraille ébréchée s'écroulant dans le vide. Ce vide, c'était
la mer ; mais, comme il ne s'en faisait
aucune idée et que la brume du soir lui cachait l'horizon,
il ne la distinguait pas du ciel et s'étonnait
seulement de voir des étoiles dans le haut et de singulières
clartés dans le bas. Étaient-ce des éclairs
de chaleur ? Mais comment se trouvaient-ils sous ses pieds
? Comment comprendre tout cela quand on n'a rien vu, pas
même une grande rivière ou une petite montagne ? Clopinet
marcha un peu dans les grosses herbes sans oser descendre
plus bas, il avait peur et il avait faim.
- Il faut, se dit-il, que je cherche un endroit pour dormir,
car au petit jour je veux demander le chemin
de chez nous et retourner voir si ma pauvre mère n'est pas
morte.
Cette idée le fit pleurer,
mais en se souvenant qu'il avait été comme mort lui-même
sur le dos du tailleur, il espéra que sa mère en reviendrait
aussi. Il n'osait pas dormir au premier endroit venu, de
peur d'être surpris par l'horrible patron
qu'il supposait toujours lancé à sa recherche, et il ne
se trouvait pas assez loin du chemin par où il eût pu revenir
vers lui. Il descendit donc avec précaution,
et vit que cela était plus difficile qu'il ne l'avait pensé.
Le rebord de la dune n'était pas un mur
où il pût se laisser glisser. C'était un terrain tout coupé,
tout crevassé et tout hérissé, comme une
châtaigne, de pointes mal solides qui cédaient
sous la main quand on voulait s'y accrocher ; puis il rencontrait
de grandes fentes cachées par l'herbe et les épines, et
il craignait d'y tomber. Il ne put en éviter quelques-unes
qui avaient de l'eau au fond, et qui par bonheur n'étaient
pas profondes ; mais la nuit, la solitude et le danger de
ce terrain perfide, si nouveau pour un
habitant des plaines et si difficile pour un boiteux,
lui causèrent une grande tristesse et peu à peu un grand
effroi.
Il renonça
à descendre et voulut remonter. Ce fut pire. Si le dessus
du terrain était séché par le soleil et
un peu consolidé par l'herbe épaisse, le flanc de cette
fausse roche était humide et glissant, le pied n'y pouvait
trouver d'appui, de gros morceaux de marne épaisse se détachaient
et laissaient crouler de gros cailloux qui étaient comme
tombés du ciel de place en place. Épuisé de fatigue, l'enfant
se crut perdu ; il ne savait pas si les
loups ne viendraient pas le manger. Il se jeta tout découragé
sur une mousse épaisse qu'il rencontra et essaya de s'endormir
pour tromper la faim ; mais il rêva qu'il
glissait, et quelque chose qui passa sur lui en courant,
peut-être un renard, peut-être un lièvre, lui fit une telle
peur qu'il s'enfuit, sans savoir où, au risque de
tomber dans une fente et de s'y noyer. |